samedi 1 novembre 2008

"Si elle veut chanter qu'elle chante" (Sartre)




Cazalis expose à Sartre l'idée de faire chanter Juliette au Boeuf sur le toit, "Si elle veut chanter, qu'elle chante" rit Sartre. Elle dit qu'elle n'en a pas l'intention et : "Je ne sais pas chanter et je n'aime pas les chansons qu'on entend à la radio"!
Sartre la convoque chez lui le lendemain et là, il lui remet des recueils de poésie pour qu'elle fasse son choix ! Elle choisit "Notre petite compagne" de Jules Laforgue et "C'est bien connu" de Raymond Queneau qui deviendront "L'Eternel Féminin" et "Si tu t'imagines". A 22 ans, elle choisit de chanter deux leçons de morale ironiques, féroces et drôles. Pour la musique des trois chansons (Sartre a ajouté "Rue des Blancs Manteaux" extrait de sa pièce "Huis Clos"), comme Juliette aime bien "Les Feuilles mortes", Sartre fait appel à Joseph Kosma.
Morte de trac, elle chante ses trois chansons le 22 juin 1949 au Boeuf devant le Tout-Paris.
Elle est alors engagée pour chanter au Club du Vieux Colombier à Antibes où elle retrouve Kosma qui lui donne l'autorisation de chanter "Les Feuilles mortes" et "La Fourmi" qu'il a composé sur un poème de Robert Desnos.
De retour à Paris, elle est engagée à la Rose Rouge, où se produisent les Frères Jacques et Yves Robert et où elle croise des Signoret, Chaplin ou Louis Armstrong. De la robe du soir de velours noir de Balmain, elle retire les ornements pour ne garder qu'un fourreau, "son noir de travail" ! Elle se lie d'amitié avec Henri Patterson, le pianiste de l'orchestre du cabaret qui l'accompagnera pendant une vingtaine d'années.
Le 30 juin 1950, elle enregistre son premier 78-tours, un des rares à trois titres de l'histoire du disque en France : "Si tu t'imagines" sur une face, "Rue des Blancs Manteaux" et "La Fourmi" sur l'autre. Ce disque sort à la rentrée 50 et est assez bien accueilli par les critiques.
En scène, elle est toujours raide derrière son micro, les mains nouées derrière le dos (çà a changé depuis!), et la voix grave mais rabotée par le trac.

Juliette raconte ses débuts

Juliette et les "existentialistes"


Le Tabou va devenir un endroit à la mode fréquenté par la "jet set" de l'époque. Greco est au centre des regards avec ses longs cheveux de noyée, d'un abord assez rude n'hésitant pas à se servir de ses poings pour freiner l'ardeur de messieurs trop entreprenants. Elle n'a encore rien fait que France Dimanche donne son nom (la Juliette du Tabou) dans la liste des femmes les plus séduisantes aux côtés de Piaf, Bacall, ...
Elle se voit comédienne après les expériences dans "Victor ou les enfants au pouvoir" au théâtre ou au cinéma dans "Les Frères Bouquinquant", mais elle est surtout une des voix du Club d'essai de la Radiodiffusion française et avec sa belle voix grave et juvénile, elle enregistre des poèmes.
Elle se lasse du Tabou et déménage au Club Saint-Germain dont Boris Vian est directeur musical. C'est là que le trio Gréco-Cazalis-Doelnitz va se faire remarquer avec leurs frasques.
Juliette a une aventure amoureuse avec Jean-Pierre Wimille, pilote automobile qui se tue en Argentine en 1949. Elle rencontre alors Miles Davis, trompettiste noir qui vivra avec elle pendant quelques semaines une histoire d'amour au grand jour.
Les propriétaires du Boeuf sur le toit font appel à Doelnitz pour redresser les affaires du cabaret. Doelnitz et Cazalis élaborent le programme et suggère à Gréco de ... chanter, ce qu'elle refuse.

Juliette fait la fête au Saint-Germain

Juliette chez Hélène Duc

Juliette va à l'adresse qu'elle connaît à Paris, 20 rue Servandoni où vit Hélène Duc et une communauté de comédiens, d'étudiants, d'artistes de variétés, de Juifs. Là, elle découvre la liberté de moeurs et d'esprit des gens du spectacle mais aussi la misère. Elle aura pour passer l'hiver le plus froid de la guerre un pantalon et une veste donnés par le futur peintre Bernard Quentin, habitant de la pension. Elle laisse pousser ses cheveux pour avoir plus chaud et parce qu'elle n'a pas d'argent pour aller chez le coiffeur. C'est ainsi que le look Greco est né !
A la libération, elle est prise dans un tourbillon de liberté dans le Saint Germain-des-Prés, liberté de s'asseoir sur les trottoirs ou de commencer la nuit au bistrot et de la finir par des promenades dans les rues de ce nouveau "quartier" du VIème arrondissement.
Juliette entre aux Jeunesses communistes en attendant le retour de sa mère et de sa soeur des camps de concentrations. Hélas, sa maman n'a pas la moindre geste pour elle lors de leurs retrouvailles : c'est "la mort de l'enfant" comme le dit Greco.
Juliette a 18 ans et elle se construit une famille de hasard; le philosophe Maurice Merleau-Ponty apprend à danser à Juliette et lui présente ses amis Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir. C'est le temps du Flore, du Montana, du Bar Vert, ce temps où une jeune femme qui a quitté l'école à la fin de la troisième fréquente des intellectuels comme Sartre, Beauvoir, Merleau-Ponty ou encore Queneau et Vian.
Greco et ses deux amis inséparables Anne-Marie Cazalis et Marc Doelnitz vont être, au printemps 47, de l'aventure du Tabou, club créé dans la cave d'un bar de la rue Dauphine.